Journal des frontières #8.2
Je repose en une ce billet, afin d’y inclure un poème écrit aux mots proposés par l’un(e) des élèves de cette classe, lequel poème illustre magiquement la réalité du travail mené, ainsi que l’apport des participant(e)s qu’encore une fois, ici, nous remercions. Ici, s’il suffisait d’un seul signe de l’exigence et de la qualité de ces travaux. (apport du 18 décembre 2015)
Je ne suis pas complètement sûr de ce qui s’est passé pour cet atelier (le mot « atelier » a quelque chose à voir avec le travail, celui d’artisan ou de peintre, artiste -une chanson de Gérard Manset se nomme « l’atelier du Crabe » c’est une boutique de bric et de broc -etc etc…- bricolage ou précision, travail sûrement, on y entre et le tour se joue).
On avait été rue du Chemin vert, choisir papiers et marqueurs, Mathilde Roux avait ordonné quelque chose par mail avec les enseignants (qu’ils soient ici remerciés pour leur accorte gentillesse), on avait pensé à ces voyages qu’on fait tous les jours, les fameux (fameux pour qui ? pour les enquêtes et les personnels en charge des transports et autres demandes d’organisation – compétences régionales, c’est de saison (1)) « trajets domicile travail » ou encore « origine destination » (je ne pense pas avoir été à la source de cette idée-là, ou de cette question, cette interrogation, je ne sais pas bien : quelles sont les frontières qu’on traverse tout le temps ? on est toujours frontalier de quelque chose… Ou peut-être n’était-ce que quelque chose qui traînait dans l’air, lors de la première réunion avec cette classe de section d’enseignement général et professionnel adapté où nous furent présentées les photos réalisées par ces mêmes élèves lors d’un concours, l’année scolaire précédente).
Il y avait donc une quinzaine d’élèves (nos remerciements à eux qui, même s’il y avait certes quelque obligation à réaliser ce que nous leur avons demandé, se sont prêtés avec beaucoup de souplesse aux injonctions et sollicitations) à qui on distribuait une sorte de cahier – une dizaine de pages, quatre beige foncé, quatre de calque, deux blanches- sur lequel ils avaient à reproduire leur trajet, dessiné, d’un point de départ à un point d’arrivée. Dans l’atelier aussi, des personnes des bibliothèques du territoire plus des lectrices ou habituées de ces lieux (nos remerciements à elles aussi – on constate que cette autre assistance avait quelque chose de genré mais on passe). Quatre professeurs, plus deux bibliothécaires, plus deux lectrices et deux artistes, nous étions donc huit adultes, les élèves quatorze. Assemblée hétéroclite qui se prêtait à l’élaboration d’un quelque chose qui aurait la forme caractéristique de soi-même : d’ici à là, on passerait en bus ou à pied de cette commune à la voisine, le trait signifierait ce voyage, on intitulerait le point de départ -serait-il en haut, en bas, est ouest comment imaginer, comment centrer disposer figurer reproduire réaliser représenter ? On s’en fout : la liberté en tout.
Le matin, les élèves avaient écouté un morceau de Stockhausen (Karlheinz), (« Strahlen », soit Eclat) avaient tracé des lignes, dessiné quelque chose d’une portée. Ils dirent « mal aux oreilles », « enterrement » pour qualifier cette musique. On rit. On posa des questions, mais elles demeurèrent sans réponse. On s’apprivoisait un peu, on disait « là, en bas, tu mets ton prénom, ton âge, et un mot que tu aimes » (je dispose de ces images, mais je ne les pose pas, je préserve quelque chose), il fallut mettre en marche les marqueurs (ces moments-là sont inoubliables), certain-e-s s’amusaient à écrire en grandes lettres leurs prénoms, puis on se mit au collage découpage, poser quelque chose sur le dessin du trajet, sur le trait qui, en diverses parties, partageait la feuille
découpage, mise en place
j’ai pris sur un bloc les mots inscrits sur la quatrième de couverture de ces cahiers (ce ne sont guère plus que des carnets de voyage(s) quand même ce voyage serait quotidien, toujours le même ou à peine différent) « où est-ce la rue de la Libération ? » demandait-on
on collait les photos qu’on avait prises l’année dernière, on illustrait un peu, on découpait, on riait, on criait s’invectivait mais l’ordre revenait on s’amusait à rire de l’un qui écrivait « amis » dans un coeur (j’ai la photo, je ne la pose pas, c’est que le droit au secret est inaliénable)
(d’où vient donc cette maxime, je ne sais pas, mais « ne jamai(s) désespérer, laisser i(n)fuser » a quelque chose de ce qui se trame dans l’écriture, dans la possibilité qui nous est offerte de jouer avec le temps et de garder la tête hors de l’eau, survivre, respirer continuer) (je ne dis rien du graphisme (ici il est magnifique, c’est vrai) , je ne veux rien savoir des orthographes personnelles, des accents oubliés, la machine ne peut pas, ne pourra jamais pallier ses manques)
(je ne m’étais pas rendu compte, tu sais, que cet atelier aurait lieu entre deux tours d’élection, ça n’avait aucune importance, ça n’était pas au programme : on avait à faire, affaire avec quelque chose de précis, la ligne du voyage et celle du retour)
la petite flèche qui indique le départ (j’ai posé un Bashung « Oser Joséphine », il tourne et dit « et que ne durent que les moments doux »), on collait là à la réalité, on demandait de se souvenir, ce trait, là, qui représente quoi, au juste, le parcours de l’autobus, celui des pieds sur les gravillons, on passe sous le pont du chemin de fer ? c’est avec qui ? vers quelle heure ?
des mains passent parfois expliquent (on aperçoit le ballon vert, le trait du voyage, mettre en relation et le travail de l’année dernière et celui de cette année, le travail dans l’atelier, afin de tenter de trouver un témoin avec celui de l’année prochaine)
non, il n’y a rien à voir là
part-on de Thomery pour arriver à Moret ? Les toponymes, les voies navigables, les routes et les rues, les chemins et les perspectives, une quinzaine de mots que je laisse ici, improbablement écrits à la machine alors qu’ils avaient le graphisme de leurs mains, à eux
deux traits comme parallèle qui vont ici, qui viennent de là
puis collages découpées
on en finissait par des mots, découpés, collés, une sorte de poésie simple
(je la laisse car au deuxième plan, on ne le reconnaît guère – c’est le jeune homme aux chiens) et ainsi donc commençait la liste des mots qu’on aime :
ADELIA
KADI
BATEAU
AMIS
La liberté est pour toujours
RIEN
RIEN
Aucune idée
Que du bonheur !
J’aime Veneux
Lexi Esther Allan
Chivasse (le chien de mon frère) Gaspar Joker Droopy (les autres chiens)
AVIONS
Il en manque un je crois. Je n’ai pas pris de photo de la dame qui avait gagné au loto un vélo électrique, non plus que des restes balayés, des tables qu’on allait ranger dans la remise, qui servent aux autres ateliers, est-ce du tricot, je ne sais pas, lieux de vie, lieux dits, on s’est dit au revoir, au mois de février, deuxième étape, dehors la nuit commençait à envahir un peu la rue Clémenneceau, on la connaissait on faisait taire le GPS, on allait passer le pont, dans le coffre les cahiers (il faut les prendre pour les ramener), les trains filaient aux viaducs, sous les passerelles les eaux du Loing enflées de celles du Lunain, allaient gonfler celles de la Seine qui iraient à l’océan, pourquoi les arrêter ? on n’arrête pas, non, on n’arrête pas, on avance, on allume les phares qui illuminent la route, et au loin, là-bas vers le nord, les lumières de la ville…
(1) la région a reçu, à la place des départements, la compétence de gestion des services non urbains de transport, réguliers ou à la demande (art. L. 3111-1 du code des transports). S’agissant des transports scolaires, la région peut, par convention, en confier l’organisation aux départements ou à un EPCI.
ah vraiment! j’ai l’impression d’y avoir été et de partager ces passages de frontières avec vous. Sans compter que résonne tendrement Oser joséphine. Bashung aurait adoré passer après Stockhausen. En fait, vous passez nous faites franchir les frontières entre les arts !
L’itinéraire est beau, la musique aussi, et les collages ne sont pas encore faits (ici) par ordinateur : la 3D ou la 4D se fait dans la tête et avec les mains…
@Val Rouxel et au Chasse-Clou : merci de vos passages, de suivre et de vos appréciations (elles nous sont non seulement agréables mais tellement utiles et joyeuses pour continuer…)(c’est que, ces temps-ci, rien n’est facile)