Sur le bureau #32
Sur le bureau est une série photographique créée à partir de clichés que je classe dans un fichier nommé « photos améliorées », sous -fichier du dossier intitulé « photos », lequel comprend aujourd’hui 2680 documents (comme on dit). Par un choix aléatoire, je tire une photo sur 134 (because il ne m’en faut qu’une vingtaine : c’est ainsi que c’est décidé aujourd’hui) (parfois le pas reste à cent). Je les pose ici dans l’ordre d’apparition. Les photos viennent comme elles viennent : elles sont classées par ordre alphabétique (je regarde le « Sur le bureau » sans numéro-qui date de 2012, le premier du genre – on y trouverait la bande son du livre de KMS donnée chez Pierre Ménard : tant mieux).
Sur la colonne de Juillet, les trois Glorieuses sont ornées de ce lion (on le voit à peine, il porte le numéro 156bis de la série – il me semble que je l’ai taillé dans une photo procurée par apap, mais il se peut que je me trompe). Les amis ne sont plus ce qu’ils étaient : c’est ainsi que les temps passent, c’est ainsi que s’oublient les heures et les rires, je ne sais, des choses me sont toujours obscures : quelle importance ? Des relations qui meurent
les séries restent : celle-ci, immeuble au faubourg (j’ai là un compte à tenir mais je n’y parviens pas : ce que je sais, c’est qu’il existe deux autres séries immobilières : immeuble au boulevard; et immeuble coin faubourg boulevard) : tout cela serait à classer, diaporamaïser, peut-être rendre intelligible.
En passant par la Chapelle,
en passant par le canal Saint-Martin (ou de l’Ourcq : photo sortie à trois ou quatre reprises sur le bureau) : cette centrale n’existe plus, remplacée par un urbanisme maladif et locatif et très probablement spéculatif (ça, c’est Paris)
un type descend la rue (à droite, l’enseigne rouge est une pizzéria kasher)
des fleurs pour Medhi (il m’en souvient presque je crois), jeune type de vingt ans mort d’un coup de couteau, en pleine rue de la Présentation (ça, aussi, c’est Paris)
métro type transportant tableau, est-ce une soeur qui assise là, pense à quelque idée ? On ne saura pas
à nouveau le faubourg en travaux (la pluie, le passage Pivert, on entend David Bowie, au fond l’immeuble le plus beau de Paris)
les choses n’ont pas vraiment d’unité (ces carreaux capturés et flous étaient en verre et dans une vitrine face à une galerie, un truc sur le lait y était exposé je ne sais plus non plus) ce n’est pas que la mémoire s’échappe, tu sais non, mais la lassitude parfois des gens qu’on a perdus, non, le fleuve reste
tel qu’en lui-même et la nuit, Paris en été
il ne fait pas trop de doute que le point manque un peu partout : est-ce que ça en abolit le caractère de photographie à ces images, un type lit la nuit debout sur le trottoir, les rideaux de fer sont baissés lui lit
on n’oublie rien (c’est encore une série : celle des musiciens du métro, j’aime son sourire à ce type qui joue d’une sorte de tuba, j’aime cette petite fille assortie de vert, souriant à sa mère ? sa nurse ? qui donc êtes-vous, toutes, tous ?)
ah Murnau, et son vampyre, c’était au 104, un séminaire, je crois qu’on voit à droite, contre le cadre, celui qui nous présentait le fruit de ses recherches
tandis que revoilà ce chantier du faubourg, avec ce petit bulldozer emporté tout à l’heure dans les hauteurs par la grue qu’on voyait sous la pluie
le libraire de la place du Commerce à Lisbonne, qui parle seul mains au dos croisées, on n’y fait plus attention, tout à l’heure il sera calmé peut-être, assis sur son tabouret
(série des lions, à nouveau) celui-là Rastafaraï, le Négus je me souviens ce mot m’intriguait, tous comme celui de Raïs ou celui de Bégum, des titres, des évocations, des souvenirs, assis là, la nuit, devant ce clavier
à nouveau ce faubourg, c’est le printemps, tu vois, la bijouterie cambriolée tous les deux ou trois ans, à gauche, sent-on le froid qui pique de ce début mars ? j’ai peur que non
tu sais quoi, ces temps-ci, je n’ai pas le coeur à rire tellement (ici c’est une table de bistrot, rue Rebéval si tu veux savoir)
et là un premier de l’an, dans la rue on emmenait mon voisin indien mourir à l’hôpital, je ne sais pourquoi cet homme me saluait, un sourire, je ne sais pas s’il reconnaissait quelque sentiment en moi (je l’aimais bien, je ne le connaissais pas) et ce jour-là, pour ne plus jamais revenir
pour presque finir, ces inscriptions qui, sûrement pour quelques uns, veulent dire quelque chose, certainement. Mais moi, je n’y comprends rien. J’en finis, tu vois, et seulement quelques fleurs
(tandis que Bob Dylan chante « should I put them by your gate / Or, sad eyed lady, should I wait ? »)
Un regard dans la ville
« j’aime cette petite fille assortie de vert, souriant à sa mère ? sa nurse ? qui donc êtes-vous, toutes, tous ?) »
Un corps parmi d’autres corps, images, événements… la vie telle qu’on la traverse en ces signes qu’elle nous envoie, qu’on saisit.
Il faudrait inventer le point-virgule en photo : une manière de prendre une photo et d’adjoindre la distance à laquelle elle peut être regardée.
Le point, on s’en floue.
Dominique Hasselmann : c’est mieux quand c’est précis , aussi, parfois… mais tu as raison, on s’en floue aussi pas mal