Onze dix quinze
Petite, cheveux blancs, ne fait pas son âge, manteau de drap bleu, écharpe dans les mauves, front haut dégarni, petites boucles d’oreille, charmante : « non, je ne viens pas souvent, je suis venue voir, je passe ici de temps en temps, il y avait beaucoup de monde, je suis allée me promener de l’autre côté… bien sûr que je viens puisque j’habite en face, sur le quai de la Marne, là bas, dire que je l’ai vue construire, oui, mais c’était interdit d’y entrer… je travaillais de l’autre côté, j’étais caissière au marché, les lundis et les jeudis… mais vers Pantin vous voyez là où il y a de la musique maintenant… je vais vous dire aujourd’hui de les voir se plaindre moi, je trouve ça moche parce que nous, on n’avait rien, en soixante quatorze, c’était en soixante quatorze hein ? ils nous ont jetés dehors comme des vauriens, sans rien ni assurances ni chômage ni rien, ils ont jeté les gendarmes contre nous, non, je ne dis rien, je ne dis rien mais c’était bien difficile avant… Je sais bien que le monde change, allez, évidemment, mais tout de même, à cette époque-là… Vous étiez mariée ? Oui, mon pauvre mari est mort il y a trente neuf ans mais il était plus jeune que moi, il avait retrouvé du travail et voilà… »
Elle s’en va, doucement, au bras pend son sac noir, son petit manteau de drap bleu tombe bien, ses cheveux blancs et frisés, quatre vingt quatorze aux pelotes (ce type d’entretien n’intéresse pas, en revanche dix lignes avant 9 heures lundi matin, oui) (tsss)
» ils nous ont jetés dehors comme des vauriens, sans rien ni assurances ni chômage ni rien, ils ont jeté les gendarmes contre nous, non, je ne dis rien, je ne dis rien mais c’était bien difficile »
(je ne dis rien)
(on ne dit rien toutefois ici un lieu pour dire)
@claire lecoeur : welcome…!