Carnet de voyage(s) #78
C’est parfois la nuit complète et dure
l’église commençait à sonner à neuf heures (on se souvient des appels stanbouliotes cinq fois par jour : enregistrés comme ici…) mais là, il est quatre heures trois quarts, peut-être
vers l’est et de là tout à l’heure viendra l’aube, on la pressent. Depuis quelques années déjà (on a l’âge qu’on peut : pour moi, compter deux fois le douzième nombre premier) (je n’aime pas les chiffres mais je ne déteste pas les nombres), des levers de nuit j’en compte un certain nombre (un, deux, trois) parfois je ne me rendors que mal ou pas (quand c’est deux du, ça craint; si c’est 5 en été ça va; en hiver ça fait un petit peu mais café, biscuit peut-être et roulez jeunesse) : cet été-là, deux fois (mais j’avais cette volonté aussi de voir le jour se lever de là, c’est vrai) alors on ouvre doucement la porte, on évite la table à manger (j’adore cette expression-en est-ce seulement une ? je ne sais) sur la petite terrasse qui donne sur la rue (on la voyait hier au reflet), à gauche un escalier, une vingtaine de marches de marbre blanc crème grisé
vers l’ouest, au fond les lumières de Donnalucata
on arrive sur la terrasse, le bleu du ciel n’est pas encore avéré- on l’aide certes un peu, mais le flou prouve le manque de définition comme de disposition, même si la précédente est au zoom- une vraie catastrophe que ce zoom mais on n’échappe pas à son matériel : je n’en ai pas, téléphone portable quand je te tiens, je sais aussi l’heure cinq à peine
j’ai tant aimé ce lieu (c’est un peu comme partout, tu vois, Lisbonne Rome Gênes ou Venise, Istanbul ou Bruxelles, Londres ou Paris, Barcelone même, il y a quelque chose sur cette planète qui fait qu’on s’y sent chez soi), si on regarde sud-sud est : le jardin du voisin ( les volets verts sont encore fermés : c’est vers six qu’on les ouvrira)
(sèchent encore les linges de couleur oubliés) ce n’est pas que le jour se lève vraiment, non mais les oliviers, les oiseaux commencent à bruire
au fond, droite cadre au milieu, c’est la mer et la ligne l’horizon, si on regarde bien, au loin, très loin certes, c’est la Crète qu’on imagine
le mur blanc borde le jardin et la ruelle, l’impasse où on gare l’auto, parfois, il ne fait pas encore jour, mais les lumières sont là et on s’habitue, il fait frais
à droite, le balcon, ombré des lumières municipales au soufre sans doute, le balcon de cette résidence hôtelière (les femmes qui viennent y travailler, vers sept heures, passent la serpillière et plient les draps, posent les chaises longues, balais et éponges, s’en vont avec le linge sale), le samedi on les voit arriver en voitures berlines cossues et bagages du même acabit
une station balnéaire, la mer à cinq cents mètres en contrebas
je me suis un peu perdu, j’ai laissé passer le temps, j’avais sur moi un pull, un short, mes chaussures
sur la petite terrasse (cette sorte de bâtiment qu’on dirait naval, non c’est cet hôtel, là) je suis repassé suis allé préparer un café, boire devant la lumière qui vient
toujours ces flous, mais j’ai d’autres clichés
les lignes se dessinent mieux, si on regarde au fond, on voit Malte, puis la Tunisie (je l’avais oubliée celle-là, dans les lieux où je me sens bien, c’est égal, on oublie toujours le plus évident mais c’est que, quitté si tôt, même en y étant retourné parfois, il n’a plus cette qualité, ce sont des choses brisées, le Super-Constellation des moteurs duquel des flammes petites et bleues s’échappaient avant l’arrêt, l’escale de Nice, cette Côte d’Azur, avant Orly, brisée, n’importe mais brisée)
sur l’horizon (droite cadre, au milieu), ce point blanc, c’est un tanker
ici aussi c’en est un autre au milieu de l’eau, les linges de couleur qui pendent aux séchoirs, le jour qui se lève, bientôt les rideaux seront tirés, on entendra ici ou là quelqu’un tousser, premier clopo ou quelque chose, au dessus des toits on entendra passer les oiseaux
pousser les lumières pour presque en ôter le bleu, il faisait doux, il y avait du mauve au ciel, le café chaud était, depuis un moment, passé, un petit frisson, celui de l’aube, il fait doux, la chaleur, le monde tout à l’heure et là, sur le fil, ces deux êtres
on n’y voit rien, c’est vers l’est, la terrasse, et sous le ciel doux, les enfants qui dorment tranquillement
J’ai cherché cette maison particulière, une vingtaine (peut-être) d’appartements luxueux (probablement) mais le robot s’en fiche : elle est encore en travaux (dans quelque temps, on la verra finie : pour le moment, on y travaille…
oui, on y travaille
(merci pour ce beau)