Carnet de voyage(s) #74
C’est un dimanche matin, le train vers l’aéroport est bondé de gens chics trente et un, descente vers le Bourget si je me souviens bien, quelques touristes envalisés, des nuages gris au ciel, et la promesse de l’île dans douze heures.
Direction Charly airport.
On escalera à Fiumicino, ville éternelle et Vatican deux, mais loin du Tibre
on aura préalablement imprimé le boarding-pass (une carte d’embarquement) et préalablement encore procédé au check-in (ce n’est qu’un enregistrement) mais l’argot de l’aéronautique de nos jours (tout comme celui de l’informatique) (et du moins de ce côté-ci du mur) ne peut se passer de l’américain (c’est de l’anglais, c’est de l’étazunien, et l’appropriation, comme du temps du onze septembre soixante treize, de l’entièreté du continent sous ces étoiles et ces barres en dit long sur l’état de ce monde).
L’appareil photo qui n’est qu’un téléphone se déclenche seul, à présent, bulle cassée pour la clope,
porte quatorze de l’entrée F du terminal deux (aujourd’hui, l’une des plus grosses entreprises gafa- terminé, gafa- a changé de nom (un nom propre ?) et a trusté un nom commun pour en faire son enseigne (on a envie de vomir : c’est sans doute le mal du pays qui se fait sentir) (aafa ça commence à sentir l’andouillette de belle facture…)
il s’agit de plaire aux investisseurs (entendu ça dans le poste), c’est d’ailleurs ce qu’on enseigne dans les écoles de commerce (on change les noms à la place de safran on intitulera ça origan, ou pour Léonard de on prendra une place de parking, un peu de concession sur les eaux, enfin comme dit l’adage « business as usual ») (bord cadre, en bas, il y avait là, assis, deux personnes dont on ne distingue qu’à peine les dos : cadrage défaillant…). On est rerentré dans le terminal, il y avait là une urne où on pose obligeamment des billets et des pièces pour une cause probablement bonne (sauver la planète, aider la banquise, secourir les baleines
– peu d’euros, pas vrai ?) on a passé les divers contrôles (Schengen quand tu nous tiens : ôter ses chaussures, et sa ceinture, sa montre et ses sous de ses poches, et passer sous un portique geignard, et des gens en uniforme et en gant, au travail les sourcils froncés) (car grave est l’heure) puis on a regardé la porte d’embarquement, on a pris un journal (des postes d’accès gratuit au réseau internet sont à disposition pour un quart d’heure si on veut), tout le monde attend, l’avion est annoncé il vient d’ailleurs parti ce matin, ou de là où on se retrouvera, la ronde du kérosène) on posera le qr-code imprimé hier soir sur le lecteur, contrôle douane évaluation de la ressemblance, « merci bon voyage », passerelle jamais d’air libre, jamais
le pilote en ombre dont on ne distingue rien (tout à l’heure il se présentera en s’intitulant « notre commandant »)
sur la carlingue un « MZ » (on ne voit pas le M non) au loin, les avions de la flotte nationale (ici c’est celle de l’Italie, car c’est là qu’on va)
on distingue une montre au poignet, on se souvient de ce sale type qui a flanqué un aéronef du même type (ou peut-être plus gros ? ) contre une montagne, il y a quelques mois
ah viens, partons, le ciel est bleu c’est celui de Rome, à Paris sous une petite pluie, on en avait soupé, on en avait marre, il faisait froid, on a atterri « on s’est posé » comme disent les jeunes gens, au loin vers Ostia se trouvent les studios de la ville du cinéma
Frédérico et Gelsomina, Anthony Quinn et « La Strada », la musique, le vin, des hommes travaillent, les femmes aussi
on apprend à doubler les photos, ce n’est pas tant qu’elles soient réussies (ou ratées du reste), c’est plus parce qu’elles évoquent quelque chose, rien de plus semblable à un tarmac ici qu’un même lieu ailleurs
à peine les couleurs des empennages, à l’égal des nations peut-être, je ne sais plus l’avion, tu sais, depuis tant d’années
des lieux du monde ouverts aux possédants, mesurer les bagages, les peser, (à quand un billet au poids de l’humain transporté ?) ne rien oublier des papiers, des réservations, penser à absorber quelque chose parce que, de nos jours, le repas n’est plus servi dans ces bus
mais l’humanité est ainsi faite qu’elle subit des besoins, boire, manger, s’épancher rire, vider une vessie contempler une lanterne, je ne sais pas : profiter de ces états de fait a quelque chose d’un peu indigne, l’escale et le transit si bien nommé, ces « espaces » tous semblables avec ces mêmes marques, ces mêmes façons de dire ce « bonjour ! » d’un ton si enjoué, si frelaté, si surjoué, un jour de vacances, on arrivera à Catane bientôt, on aura loué une auto, les bagages seront avec nous, les stewards et les hôtesses nous auront salués, le commandant de bord se sera intitulé, les aérofreins auront fonctionné comme les pneus, les trains les ailes, les réacteurs et les transmissions, la radio et le vent, les étoiles au ciel se seront cachés de la lumière, à l’arrivée, trente cinq à l’ombre, et la promesse de deux belles semaines
welcome in Sicilia…
heureusement qu’il y a le bleu, Fréderico et Gelsomina, parce que j’étais un juron lisant…
j’y peux rien, il y a des automatismes
Tarmac, Tarnac… on décolle toujours de quelque part.
Belle suite de photos : mais pour échapper à tous ces contrôles, se précipiter – tant que ce n’est pas encore sous portiques – vers les ferries… ou les trains où les passagers ne sont pas fouillés !