Cahier 44-45
On va travailler à ce que ce qui apparaitra ici soit de l’ordre de la biographie, soit de l’ordre de la littérature. Je poserai des photos de ces carnets doucement, ligne à ligne peut-être. J’ai demandé à l’Employée aux écritures qui va bientôt s’envoler pour les Etats la permission d’utiliser, masculinisé, le magnifique titre de son blog, ce qu’elle a si gentiment accepté (elle se trouvait alors au salon du livre, il n’y a pas de hasard). Qu’elle en soit ici remerciée et fondée en bonne fée de cette bifurcation. Je travaille donc à l’élaboration, à partir d’un cahier retrouvé je ne sais comment (par mon frère : il ne sait comment; il faudra creuser mais comment, je ne sais pas encore)
d’une sorte de littérature, je rechercherai les diverses possibilités de l’histoire, de la fiction, de la réalité. Il y a, d’ailleurs, dans cette annonce une sorte de prise de position pour me forcer à continuer, à établir et continuer, et continuer encore à chercher trouver déceler mettre au jour ce que cette chose-là va me dire.
La couverture mentionne « L’occupazione di Adigrat » (ADAME XIV). Adigrat est une ville d’Ethiopie, le cahier en est une effigie et donc mentionne cette sorte de victoire croupionne de l’armée italienne dirigée par un ignoble. Je ne pense pas que celui qui écrivit dans le cahier ne l’ait pas su, et je crois qu’il y a là quelque chose comme son humour très certainement doublé d’une nécessité.
Je me sers de cet outil, je ne suis pas tellement sûr d’y arriver, mais j’ai des choses à faire, alors autant les faire ici. Il se passe depuis quelques années des choses difficiles pour cette famille (la mienne en particulier), car les gens, depuis toujours, disparaissent, depuis toujours vaquent, vivent et s’éloignent, meurent et se régénèrent, se haïssent et se retrouvent, finissent comme tous ceux qui les ont précédés ici. Ce n’est pas que je n’en ai rien à faire, non plus que ça me laisse tellement froid, glacé, trahi ou blessé. Non. Pas seulement : cet homme a disparu il y a plus de quarante ans, ces lignes, il les a écrites il y a soixante dix ans à présent. Je les exhume peut-être, je les sors de leur oubli anonyme. Pour le reste, si quelqu’un pense qu’il y a là quelque chose à dire, qu’il se lève et m’en informe.
La matérialité du cahier m’importe (plus que tout ? peut-être); sa couverture de couleur et sa quatrième de couverture sont des choses infiniment parlantes. Il est écrit au dos une sorte d’addition
Il compte soixante six pages de cette matière, vieille et jaunie, un papier, des marges rouges, des lignes doublées une fois sur deux, pleins et déliés, comment apprendre à écrire et à uniformiser sa graphie, un travail à faire, je n’ai pas le temps je le prends, je cherche ne trouve pas, j’avance et je concrétise quelque chose, je n’ai de mon père d’autres souvenirs (« une photo,; vieille photo de ma jeunesse »), je n’ai pas encore lu ce qui est inscrit
(juste quelques choses : il dit « voilà un an que je me suis engagé », il cite des noms des toponymes italiens que je recherche sans vraiment les trouver, je sais d’après les souvenirs que j’en tiens qu’il a été décoré croix de guerre trente neuf quarante cinq, je sais qu’il était radio (et l’armée, dans son infinie compréhension des choses-pas des êtres- m’appela sous ses drapeaux dans cette arme, les transmissions- c’est bien une arme, n’est-ce pas), je sais qu’il naquit en vingt trois, le vingt trois du huitième mois, et que sa disparition a laissé en moi comme une sorte de vide qui, de lui et des images que j’en ai gardé, se comble comme passe le temps).
Je tenterai de traduire ce qui se trouve écrit, en italien, au dos du cahier mais ça n’a pas d’importance autre qu’il y est fait référence au « Duce » cette ordure, et donc que le cahier vient d’un tas, certainement, d’ordures trouvées quelque part, dans une école abandonnée, ou quelque chose de ce genre. Cette histoire commence donc le 12 mai 1944, au dos du cahier on trouve un dessins intitulé « CANALE DI SUEZ »
c’est en noir et blanc (beige et gris), le cahier est plié dans le sens de la longueur, en deux, probablement pour être porté dans une poche. On trouve douze pages écrites, sérré, stylo à encre noire, de nombreuses dates, le début est un peu littéraire, ou romancé, ou narré (comment dire ?) rapporté, puis la suite plus télégraphique. On verra. Il se trouve une page vers le milieu où on trouve un dessin d’un circuit électrique, d’un profil d’automobile sans roue, qui fait un penser à un modèle américain, et un dessin un peu difficile à comprendre, quelques écritures scolaires entre parenthèses : ( Mon cher Monsieur), et dessous « Madame Charles Sourlianstes » agrémentées de fioritures arrondies, et puis une sorte de tore, de spire, parfois ombrée dont on a numéroté de 1 à 13 les cercles (photo demain sans doute, probablement un peu plus tard).
Si on retourne le cahier et qu’on l’ouvre à l’envers (comme on voit, les lignes imprimées se prêtent facilement à cette inversion des choses…), on trouve des paroles de chansons, gaillardes, avec un page de garde (c’est le cas de le dire) qui indique « Chansons gaillardes et bachiques du Quartier Latin et de la Coloniale », puis un sommaire où sont reportés les titres de dix chansons (mais il n’en est retranscrit que neuf, manquent les paroles du titre « la Duchesse de Parmes »). Ce sommaire est écrit au crayon de bois, comme le premier titre de chanson « Le plaisir des dieux », tandis que les paroles sont retranscrites à l’encre bleue.
Il s’agira donc d’une sorte de mémoire, d’une sorte de mise au jour, d’une sorte de réappropriation d’un passé inconnu de moi. La seule chose vraie, réelle, sûre que je puisse dire aujourd’hui c’est que contempler, regarder, feuilleter, lire ces écritures a fait sourdre de nombreux souvenirs que j’essayais, il y a quelques mois, de mettre en ordre. Je poserai sans doute, à intervalle régulier si possible, quelques uns des chapitres que j’avais illustrés de photos prises par le robot dans les rues de la ville où nous vivions à notre arrivée dans ce pays : sans doute avait-il à voir avec ce pour quoi ce type de moins de vingt ans à son engagement, vingt et un ans quand il écrit ces lignes. Cependant, le débarquement en Normandie du 6 juin quarante quatre ne me paraît pas mentionné, mais j’ai découvert ce nom de « Frosinone » (le 28 mai, il s’agit d’un village des Appenins) qui parlera à certaine, et que je ne m’attendais pas à trouver là.
Je commence donc ? Je continue donc. Et nous verrons en quoi, comment et par où passent histoires et fictions.
belle promesse de retour vers l’avant
Une sorte d’Avventura…
[…] du 25 mars vers trois et demie : j’avais oublié, mais il y a cette image (un dessin, sans doute, mais du point de vue du bateau) du canal de Suez, dans le cahier de mon […]