Pendant le weekend

Vases Communicants #44

Privilège en ce début d’année de recevoir pendant le week-end Ruelles tandis que sur son blog est reçu Piero Cohen-Hadria, pour texte et photos à contrainte, elle allant de Montreuil à Belleville, et moi partant de Belleville pour ailleurs. Bonne lecture (et tous nos voeux, évidemment)…

Montreuil- Belleville

Avant de marcher de Montreuil à Belleville j’étais d’abord allée à Anvers, l’appareil photo en bandoulière, projetant de descendre tranquillement vers le centre de Paris, mais j’avais rebroussé chemin dès la première photo, devant un numéro de la rue Rodier. Attirée par le portail avec sa cour enguirlandée j’étais tombée sur cette plaque :

1-Noel_cremation

J’ai bu un café avenue Trudaine avant de reprendre le métro aérien sur le boulevard de Rochechouart. Il faisait déjà sombre et pendant que le train filait en cahotant à travers les lumières du quartier, je me voyais roulant dans un wagon de fête foraine. Mais dans le compartiment les passagers avaient l’air assoupis, et à leurs pieds les sacs et les paquets dormaient comme des chiens sages.

Le lendemain après-midi alors que je partais de la porte de Montreuil pour aller à Belleville je me suis arrêtée devant la façade d’une librairie dont les grosses lettres rouges embrasaient le fond jaune vif. Sur la devanture était écrit :

Magie – Encens – Bougie – Radiestésie – Religion – Voyance – Médecine douce

Magnétisme – Hypnose – Tarot – Astrologie – Talis Man – Radionique

2-Porte_Montreuil

Et je suis restée là plusieurs secondes fascinée par cette image et surtout par le mot Talis Man.

Sur le boulevard Davout un peu plus loin se dressait un magasin de lunettes intitulé Vision Express avec un x rouge et j’ai tourné à gauche dans la rue des Réglises.

3-sculpture_Reglises

A l’angle sur un morceau de trottoir élargi, il y avait une sculpture africaine entourée de poteaux, de poubelles et de voitures : de petits hommes noirs serrés en cercle faisaient front dans la rue impassible,  et je me suis demandé si c’était là la place dévolue à l’Afrique. Sur une des poubelles était écrit Vigilance Propreté. J’ai lu ensuite que c’était une fontaine appelée Les poings d’eau.

4-rue_des_Reglises

Rue des Réglises se dressait un grand immeuble en briques sombres dont l’enseigne s’élevait sur un long bâton noir : Hôtel Armstrong  mais la rue restait silencieuse et le ciel commençait à se couvrir.

5-Fantaisie_Orteaux

J’ai rejoint la rue des Orteaux en passant sous le pont du chemin de fer. Au-dessus, un grand panneau hurlait en cursive le nom Fantaisie. Dans le carrefour quasi-désert, on aurait dit qu’une catastrophe était en projet.  Sur un coin de trottoir, j’ai trouvé mon premier sapin poubelle, un petit modèle blanc neige entouré de télévisions éventrées. Dans quelques jours ce serait l’invasion. Accroché à une roue de vélo, un bouquet de résineux pendait de la rambarde du pont.

orteaux2

Rue des Pyrénées j’ai croisé deux pigeons qui posaient noblement sur une façade et j’aurais juré qu’ils rêvaient d’être changés en statues.

9-deux_pigeons

J’ai fait un crochet par la rue de Bagnolet pour jeter un œil sur l’ancienne voie de chemin de fer : un jeune couple marchait lentement dans l’herbe du ballast. Contre la grille le long de la voie, une terrasse aménagée au pied d’un immeuble imitait la manière d’un restaurant de bord de mer. Au troisième étage d’une tour voisine, un pantalon séchait dans l’air frais.

8-fleche-dor

Plus loin il y avait le jardin Karcher, parcelle en pente coincée entre le cimetière du père Lachaise et les tours de la rue des Pyrénées. Du haut de ce petit jardin où l’on accède par des escaliers on voit les tours d’en face, tandis que des tours on voit le jardin.

6-jardin_karcher

En redescendant j’ai croisé un homme en fauteuil roulant qui attendait au portail et m’a tendu un sourire.

J’ai levé les yeux vers les arbres, une tourterelle penchée regardait la rue vide.

7-Pyrenees

Les fenêtres des tours étaient là tout autour, les trottoirs se taisaient. Tout semblait dire adieu à l’année ou à autre chose. Bientôt beaucoup de monde dans cette rue s’agiterait.

10-escalier_pyrenees

J’ai monté l’escalier qui menait à la rue des Rondeaux, enflammée à l’idée de changer en même temps de rue et d’étage, savourant chaque marche comme si je traversais verticalement la ville, j’en arpentais les couches, j’en pénétrais l’épaisseur.

11-Lachaise_rue_Rondeau2

En longeant le cimetière du Père Lachaise il y avait cet arbre qui dépassait la muraille et dans lequel un nuage plongeait.

12-Rue_Rondeau

Sur le sol un petit pied d’enfant s’était cristallisé dans le béton. Je me suis demandé si de temps en temps  il repassait voir son empreinte.

Le soleil rue de la Bidassoa tapissait d’or une partie des immeubles, parfois juste un étage ou même une seule fenêtre, laissant tout le reste dans l’ombre.

13-soleil_bidassoa

J’avais décidé de clore ma promenade en haut du jardin de Belleville et je poursuivais mon chemin en songeant à un certain Belleville de mon enfance, à ce Belleville ancien qui avait été le Belleville nouveau d’un autre Belleville ancien, et dont le nouveau reculait à son tour.

Du haut de la rue de Ménilmontant, la lumière déclinait intensément. J’ai emprunté la rue de la Mare en contournant l’église Notre-Dame-de-la-Croix. Je me demandais à ce moment où commençait Belleville, me disant que c’était peut-être là, derrière cette église. Barrant le trottoir d’en face il y avait un camion sur lequel trois lettres orange maladroitement tracées formaient un sigle obscur : LML. Au dessus on pouvait lire : La main de l’autre.

14-derriere_eglise

Au pied du jardin de Belleville, le ciel virait à l’orange par endroits. Dans l’allée qui montait, des fougères délicatement emballées pour l’hiver s’offraient en bouquets pour les yeux.

15-jardin_Belleville

J’ai atteint le sommet du parc au moment où le soleil se couchait, au fond derrière les branches, entre la tour Montparnasse et la tour Eiffel, et dans le grand A de ronce qui se dressait sur l’horizon de la ville, j’ai vu le jour s’allonger.

16-A_jardin_Belleville

La nuit était tombée quand j’ai repris le métro. Les silhouettes dans le wagon étaient chargées d’électricité, de toute l’électricité de l’année, comme si toute l’électricité de l’année remontait maintenant pour que l’année éclate, et qu’une autre éclose.

 

Texte et Photos : Sandra Hinège

 

Merci à Brigitte Célérier pour sa toujours patiente et efficace recension des participants à ces Vases Communicants de janvier 2014, dont on trouvera la liste ici.

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3 Comments

    On vous suit avec le plaisir de la découverte (la librairie au Talis man, l’arbre du cimitière du Père-Lachaise, la camionnette LML, le A de ronce…), votre œil n’a pas manqué les signes du quotidien pour qui sait être éveillé.

  • Je suis comme tout le monde : si je n’ouvre pas les yeux je m’endors ! merci de votre passage

  • Merci pour cette balade, j’aime particulièrement le A final. Je vais régulièrement à Paris et sur vos traces j’y ai photographié beaucoup de street art.