Carnet de voyage(s) #49
Lecteurs qui venez ici, abandonnez tout espoir de point sur les photographies illustrant ces carnets : il n’en est point, il n’en sera guère, pour ce voyage dans l’île.
Kimi est un port où on embarque pour aller sur une île
l’une des Sporades, Skyros, le ferry manoeuvre dans le port, marche arrière
il est dans les bleus et les blancs. La ville domine le port, d’un peu loin. De retour, on prend des photos
de la route (je ne conduis pas en même temps) on croise cyprés et oliviers
la chaleur d’un ciel
d’un bleu turc, la terre presque rouge parfois
la route sillonne
les montagnes sont loin, non pas hautes (elles culminent dit le guide à mille sept cents mètres et quelque, on peut y pratiquer en hiver le ski), un dépliant touristique que ce carnet de voyages ?
Il me semble. Pour cette fois.
Et puis rapporter des images aux amis. Et puis ce qu’il y a de beau sur les îles c’est ce qu’elles sont.
Ce qu’il y a de beau, c’est que le bac passe, « les bateaux sont partis soudain la mer est calme » chante Aznavour (c’est une chanson douce) mais écrire tout en écoutant une chanson c’est un peu compliqué, difficile, je me souviens juste de la chaleur qu’on pouvait, qu’on aurait pu d’un couteau découper la deuxième semaine, je ne sais pas exactement ce que je fais, le plomb pèse ici aujourd’hui et ce sont des photos qui viennent de quand, je ne sais plus, est-ce que ça a vraiment une importance ? Il y avait là cet homme qui vendait des cigarettes dans sa petite officine
cette chanson aussi, un film il me semble, « un homme et une femme » mais ce n’était pas ça, c’était l’époque, « Paris au mois d’août » nous étions seuls sur terre, ce sont les vacances, voilà tout et lorsque tombera le soir, nous rejoindrons le port, les bateaux partiront, la mer sera calme, des boutiques seront fermées, l’époque pèsera sur nous
il y aura, on la voit à peine, cette voiture, ce pick-up comme on dit, où s’entassent des chaises, ce sont des commerçants qui passent dans les villages et hurlent dans un mégaphone qu’ils ont des choses à vendre, d’autres qui recherchent des métaux usent d’une même sono, ça a le don de réveiller, vers huit heures du matin, lorsque la cloche de la petite église a sonné trois fois puis trois fois puis sept fois, puis trois fois trois fois et sept encore, mais la nuit
voilà que les guirlandes s’allument aux bacs
on ne sait pourquoi, une fête
une habitude
le port, les tables et les chaises
les humains qui investissent les terrasses
les jardins publics
on les distingue à peine, ils marchent sur une avenue interdite à la circulation mais les voitures y passent, un hôtel, huit étages désaffecté, laissé à l’abandon dirait-on, tagué, au loin les lumières de bateaux sont troubles
la nuit est venue
il fait doux, comme il se doit, l’été, mais le monde où est-il ?
Cette époque-là, c’était celle d’Enrico Macias, de Nana Mouskouri, des pieds noirs et des accords d’Evian, mes parents étaient des adultes mais nous autres, enfants, riions alors, colonies et fantoches, le quarteron de généraux à la retraite, ici en soixante sept les colonels qui prennent le pouvoir, la dictature, la mort des opposants, « Z » tu te souviens, puis Chypre, puis nous voilà devenus aussi bien des adultes, les jeunes gens sont assis à l’arrière de la voiture, les rennes, le quart ou le tiers de la population de ces âges-là est au chômage, il fait un temps magnifique, splendide mais est-ce pour oublier qu’on s’en va, dis moi, est-ce pour oublier ?
oublier, non, bien sûr… temporiser tout au plus et cheminer vers l’essence des choses, ainsi des images, abstraction(s)