Carnet de voyage(s) #37
C’est entendu, il n’y a que la musique qui vaille. Oui, mais pourquoi celle-là, particulièrement ? Qu’y a-t-il donc avec ce fado ? Je me souviens qu’on écoutait, parfois, Amalia Rodrigues à la télé dans ces débuts d’années soixante, mais que nous rappelait-elle ? Ou que leur rappelait-elle ? Il y avait des chansons, cependant, plutôt françaises, qui passaient (je me souviens, sur le quai Gustave Ador, le jet d’eau, Aznavour et « tu t’laisses aller »), il y en avait mais pourquoi le Portugal ? La maison du pêcheur, le Tage ? Le Portugal ? Non, l’Espagne, Isabelle la (très) Catholique créature qui a foutu dehors fin quinzième celles et ceux qui ne l’étaient pas, les ordures Franco et Salazar ? Je ne sais pas, ce ne sont pas des souvenirs. Je ne sais pas mais c’est là, je lis Lisbonne, ou Tage, Bélem ou Caïs do Sodre, et mon âme s’en va…
Est-ce ainsi ?
La mémoire, les oubliés, ceux qui s’en sont allés, qui nous laissent seuls et désemparés ? Cette façon de pleurer, en chantant, de pleurer et de rire sur la terre devant l’océan, la pointe du sud de l’Europe ? Le château de Saint Georges, les livres peut-être, Pessoa et Tabucchi, oui, Antunes (Magris aussi mais plus loin), se baigner à Cascais, avant de se retrouver dans la clinique, perdre du poids et rencontrer ce médecin qui, finalement, n’a pas une si mauvaise philosophie ni une si mauvaise oreille… Doutor Pereira, c’est moi.
Et ce samedi (obligado Alain, obligado Anne)
nous marchions vers cette salle en sous-sol, à laquelle on accède par une salle faite de grosses colonnes.
La musique, oui, le type entre sur scène, costume, cravate noire sur chemise blanche, s’assoit et commence à chanter.
Quatre autres hommes,
une contrebasse, mais la musique…
Les lumières, le noir et les étoiles au rideau
je ne sais pas, une sorte de gaieté, on pense au cap Vert avant d’arriver au Brésil, à Vinicius de Moraes, on pense à « Bahia de tous les saints », c’est la langue, certainement. La salle comble, les habitués qui applaudissent parce qu’ils savent que c’en est fini. Cette clarinette basse
Ils s’amusent, ils rient, il chantonne « quand il me prend dans ses bras », Paris, « ça va ? », gentillesse comme on la trouve dans ce pays, là, lusophone…
Les chansons, je ne sais pas le portugais, mais elles sont à base d’amour, de nostalgie, connaître et reconnaître, c’est la langue et c’est la musique. Alors depuis, le concert tourne dans la maison, saudade pourquoi faire ? tristesse, toute la vie, la plainte de la trompette, le bugle, bouché, la contrebasse et la guitare espagnole. Cette péninsule, que m’est-elle ? Et ces chansons, cette voix, ces « muito obligado », cette façon de ne pas prononcer la fin des mots, cette manière de terminer une chanson en laissant la musique ouverte, je suis allé voir le site du chanteur, où on peut écouter les chansons, librement… La musique tourne, comme presque à chaque fois chez KMS à peine terminée, il faut faire repasser cette musique, de l’addiction, de la joie de se sentir enfin chez soi, de se savoir enfin appartenir à quelque part ?
Je ne sais pas, non, peut-être pas, j’ai ici mes amitiés
mes lieux
mes travaux
sur le pallier dehors, les gens sortent fumer
comme le soir, tu les vois devant les bars à rire, à boire, à fumer, à vivre, hein, probablement… Alors quelque chansons, se souvenir de la rive droite du fleuve qui va à l’océan, là-bas, sans doute le soleil, la vie, la joie et cette teinte d’amusement, de plaisir d’entendre dire ce qu’on pense sans le savoir, d’écouter la voix, tranquille, simple, drôle parfois triste, et puis regarder le monde
garder ses impressions et les retenir et les reproduire, tenter quelques mots, ne pas oublier de se moquer et, dans ses bras, dans ces villes, serrer ceux qu’on aime
J’imagine le lusophone comme un instrument de musique…
Un peu, oui, et qui ferait « chhhttt » à la fin…