Carnet de voyage(s) #36
Rie ne vient, rien n’arrive. Chercher, toujours chercher, téléphoner, envoyer des mails, vouloir exister et continuer même si ce travail, au fond celui-là, un autre… C’était samedi et on a pris l’auto, maintenant (comme toujours, mais à présent ces réalités pèsent, lourdes d’un sens d’avenir comme si cela, bientôt, ne serait plus possible, ou envisageable) on a fait le plein (je me souviens lorsqu’on nous disait « le litre de super à dix francs, c’est pour bientôt ») parce que la société nationale des chemins de fer français supprime les trains directs (travaux ? tégévéisation des lignes ? abandon pur et simple ? je me souviens de la ligne de Granville qui borde ces départements qui sombrent), l’autoroute, l’argent toujours, la vitesse, le ciel bleu toute la vie, toute la vie…
La visite rendue, donnée, faite
il était déjà quatre heures
j’avais cette chanson qui fait « on allait au bord de la mer » qui me venait, en voiture il me vient des chansons, les murs de la maison avaient des tons beiges ocres ensoleillés
et les escaliers descendaient dans les gris
nous avons été voir la cave, le garage puis vers l’ouest, vers les plages, vers les éléments nous avons mis le cap
c’était le bout de la route, la mer, le ciel les airs, une jetée, une estacade, du bois
peint de soleil, les vagues lentes, l’eau son écume, le ciel, derrière nous la plage et ses centaines de petites maisons de bains et de bois
il était près de six heures, le soleil s’en allait, on marchait sur le bois salé, une sorte d’avancée, cette maison efflanquée (champ)
aller au bout revenir (contrechamp : c’est un poste, une vigie, en saisons sans doute des sauveteurs à jumelles et des drapeaux qui indiquent le rouge ou le vert de l’eau, les heures des marées, pleine mer ou découverte des sables, les bâches, les flaques, les sables)
c’est à l’ombre qu’on a froid, le vent tourbillonne et rabat les volets, la mer, le sable, le bois, la lumière et le ciel
son bleu profond
alentour les cris des mouettes, des enfants les rires, les larmes parfois d’un vent coupant, les mains dans les poches, les planches sur lesquelles on avance
c’est la paix qui revient, au fond le soleil disparaît, on revient vers la grève, au sud
« c’est le silence qui se remarque le plus » disait la chanson, mais en ville, ces petites villes-là, du bord de l’eau, hors saison et au nord
il fait doux même avec ce vent, même avec toute cette tristesse qui parfois affleure, effleure les cils, le regard, l’évocation des enfants, regarde on revient, c’est la terre
derrière nous, nous laissions ces magasins vides, ces restaurants hôtels fermés, les petites villes du bord de mer, le besoin de s’arrêter dans un petit bar, le bord de l’eau, au loin on ne le voit pas mais c’est le Havre, ses lumières, ses tankers, continue viens, allons-nous en
un homme passe, il n’est qu’une ombre, allons-nous en, viens, sur la route du retour, une auto-stopeuse nous racontera qu’à Pontivy se produisait « ce groupe, vous savez, « les ramoneurs de menhirs » ? » non, on ne connaît pas, non n’importe, on rit, une petite fille de cinq ans, la voiture file, la nuit, les routes, la ville au loin et ses lumières, ce soir-là, il faisait si doux et on avait, pour un temps, oublié que le monde nous attend, toujours, et quand même nous l’aurions oublié, il serait là, ce soir, à fondre et continuer sa course inutile, insensée, « vide et têtue »…