Vases Communicants #33
Pendant le week-end, pour ce numéro 33 des Vases Communicants (d’ici, le 33), nous accueillons avec grand plaisir Catherine Désormière tandis qu’elle accueille sur son blog Piero Cohen-Hadria. Bienvenue…
(et je dédie ce Vase à Maryse Hache et à son « (Emprise) »
Matière d’éternité.
Sous les arbres du parc, un souffle est passé. Suspendu, le vent s’est détourné de sa voie pour fléchir lentement et sembler se coucher. La lumière blanche de l’après-midi s’accorde au silence d’une nature domestiquée. Dans l’allée, un léger bruit, tel celui de feuilles froissées. Mais rien. Rien n’apparaît entre les taillis et les massifs. C’est probablement ce grand calme qui produit des chuchotements.
Il a aperçu une forme, immobile, allongée, juste le long d’un bosquet, bleue, découpée sur le fond vert d’une herbe fraîche. Arrêt. Contemplation.
Quand la forme se lève, s’anime et devient silhouette puis se met en marche, comment ne pas vouloir la suivre et se glisser derrière elle, fasciné ? Se rapprocher et avancer jusque tout près de la maison qu’elle vient d’atteindre et où elle va entrer ? Imiter ces animaux qui rampent et se faufilent, vu de personne, inconnu, transparent ?
Il a vu des mondes violets où des êtres limpides se meuvent au-dessus d’immensités désertes. Il a vu des planètes obscures sans jour ni nuit où la vie se multiplie au fond de grands puits inaccessibles. Il a traversé l’amas de Coma et ses milliers de Galaxie. Il a traversé des ciels cramoisis. Mais jamais il n’avait connu pareille lumière, et surtout jamais de ces étranges formes, ces apparences qui se meuvent, chantent entre elles, errent d’un lieu à l’autre, se rejoignent et se séparent. Et ici, près de cette silhouette solitaire, il se demande si ce n’est pas l’air doux et immobile alentour qui lui permet de ressentir une attirance, une familiarité qu’il n’avait jamais connue avant. Cette énergie étrange qu’il éprouve, comme un flux parallèle, comment l’expliquer ? Cette apparence bleue aurait-elle des pensées ? Comment une puissance psychique pourrait-elle trouver abri dans une forme visible et colorée ? A-t-elle la conscience, même fugace, de sa présence à lui ?
Cependant, aucune attraction ne peut faire qu’il se fixe en ce lieu. Il dérive lentement, porté par une vague imperceptible. Le soleil décline, la clarté se dissipe, les couleurs s’effacent…
Sait-on ce qui traverse l’espace ? D’où vient ce mouvement qui fait que les arbres balancent doucement leurs branches basses ? Est-ce le vent ?
Bien plus tard. Nébuleuse du Crabe. Six mille trois cents années lumière plus tard, c’est l’image d’une robe bleue qui le hante encore.
Texte et photo : Catherine Désormière.
Merci à Brigitte Célerier pour son toujours si pertinent et important travail de recension des Vases : les autres vases c’est ici. Et peut-être que le « scoop it » de Pierre Ménard se trouvera là.
Cette nébuleuse fait tournoyer l’imagination. La photo ancre dans l’irréalité.