Couleurs vives
C’est de se regarder , probablement, qui entraîne à voir les choses d’une autre manière, d’un autre point de vue. Où en est-on ? Il y a là plusieurs centaines d’êtres humains; ils attendent, ils sont dehors, c’est en bas des Champs Elysées, il y a là, à vingt mètres, un commissariat de police, cinquante de plus un théâtre et cinquante encore, l’avenue. Des heures d’attente : pour quoi faire ? Voir des oeuvres accrochées sur des murs gris ou bleus.
Ici la place du Palais Royal, par Camille Pissarro : d’où parle-t-il ? Des loges, ou des bureaux de la Comédie Française. Qui peut donc se trouver dans ces lieux ? Le peintre, certes, mais qui d’autre ? Il faut noter la qualité des cadres de ces trois oeuvres, la comparer avec celle des oeuvres d’Edward Hopper)… Il y avait là aussi deux (ou peut-être plus) tableaux d’Edgar Degas. L’un d’un bureau du coton, à la Nouvelle Orléans
(et la même question, qui pour se trouver là, à ce moment-là ?) et l’autre de la série de fauteuils de l’orchestre. et la scène, « le ballet de Robert le Diable ».
Des influences, nous dit-on. Oui, vient-on pour regarder et découvrir des influences ? D’où se place-t-on ? De quoi parle-t-on ? Un peintre, américain (étazunien), qui passa quelques temps en France (il faut, pour que cette présentation ait quelque quotidienneté, qu’elle ait quelque chose à voir avec la France), tout en peignant, tachant de se faire reconnaître pour ses actes de peinture, mais aussi beaucoup la gravure
mais n’y parvenant que peu, mal, allant vers l’illustration. Cette gravure de bateau
(à laquelle tout à l’heure répondra une peinture), où se place donc le peintre (le graveur, l’artiste), sur un autre bateau, ou dans ce train presque vide ? J’aime savoir que les peintres, ou les auteurs, ne sont jamais que des fantômes (ils n’y étaient pas plus que les fantômes ne se trouvent à présent dans le cadre- ou au moins autant).
Il y avait tant de personnes pour admirer les toiles que la question de savoir pourquoi toutes, tout à coup, se retrouvent là, admirent, dissertent (tous ces mots, ces regards, ces attentions laissées et perdues dans ces salles) puis continuent, écoutent ce que dit le petit guide portatif et électronique, toutes ici regardées
filmées entendues, radar et téléphone
des toiles aux couleurs vives mais si désaffectées
si vides d’âmes, d’humanité, accrochées mais écorchées, alors que dehors on attend encore, que les réservations sont closes qu’on ouvrira toute la nuit, à la fin du mois ou est-ce au début du suivant, des couleurs, des bateaux
certes, des locomotives et des voies de chemin de fer, des sémaphores et des maisons, des lignes, des rues, et des couleurs qui elles vivent…
Regarder et parcourir ces salles
tableaux à hauteur de regard (quel regard ?), quelques films projetés sur des écrans de quatre mètres sur cinq, bord cadre sur le sol couvert de linoléum, des dizaines de milliers de personnes pour venir louer des couleurs, des apparitions, une femme presque nue entre sur scène-, une autre en chemise sur son lit regarde le soleil, une autre dort, de dos, en travers d’un lit tandis qu’un homme a posé son livre ouvert, et est assis là, des toiles des oeuvres, des peintures, des images qui ressemblent à des photos où personne ne se touche et très peu se regardent…
Et cette dernière toile où deux comédiens viennent saluer, sans doute, et la main dans la main…
Vendredi dernier, je crois bien, en sortant des ouvriers, dans le froid du bas de l’avenue, dans la neige qui allait poindre (on ne le savait pas encore), dans le vent coupant, enlevaient des arbres les décorations de Noël
un froid de gueux, au coeur comme un vide et le soir, passant devant le chantier de la Bataille
une photographie, vide, qu’on retourne
et qui elle aussi ne raconte pas d’histoire. Il fait froid sur la ville comme il fait si froid au coeur du peintre…
comme il fait si froid pour moi devant les toiles du peintre (mais n’ose le dire, d’autant que je ne les ai jamais vues « qu’en faux » et que manque la sensualité qui peut éventuellement venir de la peinture elle même)
C’est quand il fait froid ou qu’il pleut (mais moins sûr) qu’il faut visiter les expos, de même que le cinéma est un refuge quand il fait beau.
Je n’ai pas encore été voir Hopper (trop de monde, de battage, « l’expo incontournable », etc.), peut-être le dernier week-end en nocturne (3 février), c’est à voir de nuit, je crois.
Oui, se demander qui va « regarder » quoi, ce qu’il y voit ou pas, et pourquoi cette activité (ou inactivité), le regard passif au lieu que chacun prenne un pinceau – mais chacun a son iPhone – et se coltine l’huile, les mélanges, le séchage, la palette, l’attente du séchage…
Le succès parfois écrabouille : mais Hopper n’est plus là pour s’en soucier.
@brigetoun : oui, des couleurs pour la sensualité, probablement… mais sinon brrrr…
@Dominique Hasselmann : c’est le côté « incontournable » qui m’a fatigué (et de ne voir les tableaux que de côté (de face, on ne peut guère…) : trop de monde, trop de mots, trop de tout sauf d’humanité bizarrement… Mais tu me diras quand (si) tu (la vois) l’auras vue… (et si tu ne la vois pas, tu survivras… :°)))
Il faut arriver à traverser la foule pour traverser les tableaux ou traverser ceux-ci pour écarter la foule : l’étrave du regard doit pouvoir jouer, je te tiens alors au courant !