Pendant le weekend

Hélène et Vincent

Il faudrait prendre son parti : il s’agit d’une femme qui doit avoir soixante dix ans, battue par un mari colérique, mort (tant mieux semble-t-elle dire sans un mot) avec lequel elle a fait un fils (ils l’ont prénommé Alain) qui s’est retrouvé en prison (c’est une honte) après avoir transporté dans son camion quelques kilos de drogue, imagine-t-on. Ce fils sort de prison et s’en retourne chez elle : peut-elle lui interdire sa porte ? Non.

Vincent Lindon et Hélène Vincent (Alain et Yvette, le fils et sa mère)

Nettoyer, récurer, repasser même les torchons (surtout les torchons : et on pense à Jeanne Dielman, surtout,et aussi, pour les plans séquences – une vraie splendeur- qui construisent ce film dans une formidable lenteur) , une maison propre, un intérieur propre – un propre intérieur serait plus adapté. Elle est chez elle. Dans cet intérieur-là. Cependant, et depuis longtemps, peut-être est-ce dû à cette vie, comme les autres (mais certainement pas belle, ah ça, non), un intérieur passé à regarder défiler les trente glorieuses, puis les crises successives pétrolières, chômage probablement, un intérieur propre, un pavillon, banlieue probablement, des voisins charmants

Olivier Perrier et Hélène Vincent (monsieur Lalouettte, le voisin, et la mère)

une voiture dans le garage, quelque chose de propre, une conduite intérieure, eh bien dans ce corps-là se love la maladie, infecte, récidivante, envahissante et torve. On a beau mettre un masque (quel masque, je ne l’ai pas en photo mais quel masque), on a beau viser la tumeur d’une croix rouge de laser, tenter de faire reculer le temps, le passé peut-être, le voilà

qui revient, qui hante un peu la salle à manger, on ne veut pas, on ne peut pas, alors il mangera dans la cuisine, il tentera de vivre de tri des déchets, mais non, ça ne lui ira pas à ce fils, non, il ne pourra pas continuer, évidemment comment pourrait-il, mais lâcher aujourd’hui, c’est dangereux, mais que risque-t-il ? Rien. Rien, il ne risque rien, il trouvera, le vin ou la bière aidant, il trouvera, elle comprend ? Elle ne comprend rien, mais il criera, frappera la table comme son père avant lui, que croit-elle avec son pavillon propre, et brandissant sous son nez, le visage de sa mère, un poing qui pourrait l’anéantir, là, oui, non, s’il pouvait… Une colère comme celle que lui infligeait l’autre, certainement… Une colère à mourir… Alors, oui, mourir… On classe les photos


avant de partir, parce que ce doit être rangé. On continue la lessive, le repassage et les confitures pour le voisin. On ira même jusqu’à l’embrasser… Non, la vie, vraiment, non, la rémission, non, les métastases, le cancer est là qui frappe et est entré, il dévaste, et c’est tant mieux. Alors, et seulement alors le fils se taira.

Mourir dans la dignité, c’est le nom de l’association d’ici je crois, mais tel n’est pas le sujet de ce film, magnifique de mise en scène et d’interprétation, image formidable et musique qui l’est tout autant. Oui, et encore heureux, on peut choisir de mourir. En Suisse, probablement, il l’accompagnera, ce fils, dans la voiture, ils l’ont prénommé Alain, ils iront ensemble, elle boira ce liquide comme du jus d’orange, l’orange du soleil qui tous les matins se lève sur l’horizon, tous les matins, et là, sur ce lit, elle s’en ira, Ah, elle ne dit rien, peut-être a-t-elle peur, puis s’endort, tant, mieux, tant mieux… Son fils, là

sa main, ses bras, oui, oh oui elle l’a aimé, oui,mais voilà, ils n’ont jamais réussi à se le dire. 

Fin.

Magnifique.

« Quelques heures de printemps », un film réalisé par Stéphane Brizé.

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2 Comments

    je voulais le voir – j’en ai dégusté l’écho ici, il devient indispensable de le guetter et d’aller m’en nourrir

  • Pas vu (je ne suis pas fana de Vincent Lindon) mais ton texte donne envie d’aller se laisser bercer par le film…