Carnet de voyage(s) #29
Il y a un secret des pays chauds, il faut se lever tôt pour le découvrir. La chaleur nous y aide, il ne devrait jamais être question de se trouver hors de l’ombre entre midi et quatre heures, l’aprés-midi… Certains travaillent pourtant, nombreux, se déplacent, vont ici, là, en mobylette, en pick up, nombreux, en taxi collectif (lesquels adoptent vis à vis de la route un code qui leur est très personnel et qui tient en un seul article – pour une fois qu’un code est simple- : partout et toujours prioritaire). Mais le secret n’est pas là.
C’est à pied qu’on va à la plage. C’était à six heures trente, une de ces journées où la musique s’était tue un peu plus tôt qu’à l’accoutumée : habitude immédiatement prise, le samedi, terme des hostilités sonores : trois heures trente du matin, début vers onze heures le lendemain soir; c’est que le ramadan ne devait se clore que le dimanche et le lundi suivant; fête tous les soirs, musiques, enfants femmes et musiciens boites à rythme et synthétiseurs, chants et danses, bouteilles de fanta et chicha-narguilé à qui en veut, en achète, mais non merci… Dormir alors, impossible surtout les premiers jours… Et puis, comme à une antienne urticante même, on s’habitue. Lever, café, terrasse à l’arrière, douceur et fraîcheur de la solitude, mon livre (« Tristano meurt » Antonio Tabucchi, un peu décousu; « Ferragus », « La fille aux yeux d’or », « L’elixir de longue vie » et « Lucien Lambert », peut-être languissants), et sur le chemin voici un homme qui passe (il n’est pas le premier : trois voitures sont déjà sur le parking de la boîte de nuit).
Le soleil à peine entrevu, mais voici le chapeau blanc (une casquette), le polo blanc, le bermuda bleu… Il avance rapidement, comme pieds nus mais non, il porte des tongues, je le verrai tout à l’heure, il marche vite, passe sur la poussière du chemin devant la maison, et disparaît, on ne saurait dire où.
Un autre jour, même heure peut-être un peu plus tard, en voici un autre qui retourne vers le village, sa maison, sa villa
Le même accoutrement, polo noir aujourd’hui, blanc demain
je n’ai pas réussi à le capter quand il part, mais peut-être emprunte-t-il un autre chemin, je ne saurais jamais.
Des hommes seuls, donc, d’un certain âge, sans doute, qui marchent à pied dans le matin clairet (comme disait Léo).
« Richard, ça va ? » disait-il aussi.
Mais c’était la nuit.
Et un jour, sur l’eau, un bateau qui va, vient et manoeuvre, ici j’ai tenté de l’attraper, mais on ne le decouvre que mal
Les hommes marchaient, pieds nus ou dans des sandales, claquettes, tongues, tôt, le matin, vers la plage, et le dernier jour, tout dernier avant de rapporter au loueur la voiture, de se retrouver sur cette route magnifique qui clora ces carnets pour ce voyage, demain sans doute, un dernier tour sur la plage, j’ai mis le réveil, « viens », nous y allons, on marche le sable dur, la mer fraîche, et au loin, l’homme est assis sur le sable, il a enlevé son t-shirt blanc, il est assis sur le sable, ses pieds sont nus ses sandales traînent là, la mer a ses petites vagues sensibles, presque étales, au loin une toute petite maison au bord de l’eau, les ruines, le cap, sur l’eau qui n’est pas si bleu, quelques nuages peut-être au dessus du sémaphore, le soleil est déjà levé, on marche on avance, des villas somptueuses, d’autres et d’autres encore, mais personne sur la plage, un vieil homme qui se relève avec difficulté « on retourne ? », et qui va se plonger doucement dans la mer presque froide, qui y reste tranquillement sans trop nager, sans trop plonger, je me souviens de ses petits yeux, de sa posture sur le sable, de cette pose, cette pause alanguie, le matin, tôt, là, et tout à l’heure, il reprendra sa route, passera sur la poussière, les pieds humides, et puis c’en sera fini, nul doute que ce matin encore, il y a été et en est revenu, mais ce samedi là, non pas question de le voir revenir, on fera l’inventaire avec monsieur O.
debout devant la petite maison, en tongues, bermuda, polo, un homme seul…
Ce n’est pas seulement qu’il y a là quelque chose de bizarre (hors monsieur O. qui vient travailler) : il y a aussi l’imprésence des femmes, il y a aussi que certaines viennent en taxi, le matin, tôt, avec les enfants, ou ensemble entre elles, et se baignent habillées. Peut-être les héros de ce début des jours sont-ils veufs, ou n’ont-ils pas trouvé de femme, ou quelque chose d’autre encore, mais il y a un secret dans les pays, chauds. Et il faut, pour le découvrir, se lever tôt