Vases Communicants #27 juillet 12
« Pendant le week-end » accueille avec joie Dominique Hasselmann pour ces Vases Communicants de juillet; en échange, Le Tourne-à-gauche accueille aimablement Pïero Cohen-Hadria.
Magie d’un lieu rue du Temple, il y a vingt ans
J’ai reçu par Internet ces deux photos, et elles me replongent dans cette période qui date de vingt ans déjà : aujourd’hui, 4 juillet 2032, je les découvre, et j’ai l’impression qu’elles m’emmènent à toute vitesse vers un passé enfui, disparu presque à jamais, hormis de ma mémoire ; je remercie l’expéditeur qui me les a envoyées (j’ignore comment il a pu trouver mon adresse e-mail, sans doute par les réseaux sociaux qui sont devenus super-intelligents depuis cette époque).
Oui, c’était rue du Temple (3e), à Paris, le 1er février 2012. Jean-Christophe et moi nous allions souvent faire un tour, dans nos heures creuses du collège, dans cette boutique qui nous plaisait à cause de son aspect « passéiste » et son « look » de bazar inorganisé. Quand nous franchissions le seuil des « Nouveautés parisiennes » – il y avait peut-être de l’humour dans cette enseigne ? – la magie du lieu nous saisissait : non seulement ce qu’il recélait mais le décor, l’ambiance, les ondes émises par tous ces objets rassemblés.
Comme nous arrivions de la droite, nous regardions d’abord systématiquement la première vitrine, qui ne changeait jamais. Immanquablement, je détaillais ce petit minibus VW jaune (un Dinky Toys ou un Norev ?), puis cette boîte avec un bulldozer géant, mon regard parcourait ensuite les hauteurs avec le Monopoly monde et le coffret Starwars. Je rêvais aussi de pouvoir jouer aux Incollables avec Jean-Christophe, car j’aimais bien les questions d’histoire et de littérature.
L’autre vitrine semblait réservée aux « grands » avec son jeu du Millenium Poker, son Domo Clip (un ensemble de clés à tube pour bricoleur invétéré) et autres divertissements peut-être moins amusants.
Une fois entrés dans le magasin, le propriétaire nous reconnaissait (on faisait partie de ses visiteurs réguliers, ses habitués) et nous saluait d’un sonore :
– Bonjour, les enfants ! Vous séchez encore les cours ?
– Non, c’est juste la prof d’allemand qui est absente !
Et alors nous nous égayions au milieu des tables portant ces jouets, ces boîtes mystérieuses qui deviendraient peut-être des cadeaux, ces constructions à réaliser – chacun pouvait devenir architecte ou piloter une grue – ces panoplies pour se déguiser en médecin avec un stéthoscope autour du cou ou en agent de police avec sifflet et matraque…, sans que le métier représenté ne perde jamais son aspect ludique avant qu’il ne devienne, des années après, plus sérieux.
Maintenant, les « Nouveautés parisiennes » n’existent plus et je suis heureux qu’il en reste cette trace photographique avec notre présence fixée au milieu d’elle. Ce magasin a été remplacé par une boutique de fringues, comme elles ont colonisé irrémédiablement le Marais (classé malgré tout, mais un peu tard, au patrimoine mondial de l’Unesco). Le divertissement dispose depuis longtemps de ses grandes surfaces, du style Toys « R » Us, dans les zones commerciales péri-urbaines.
Et, de toute façon, les jeux sont tous « en ligne » maintenant. Mais, quand on a la trentaine, a-t-on encore le temps de s’amuser ? Les voitures foncent à deux cents à l’heure sur nos écrans, le temps de la poussette avec trois doigts est révolu. Et puis, au travail, le chamboule-tout de la mondialisation a remplacé le lent déplacement des automobiles miniatures. Il s’agit surtout de négocier au mieux, en ce début de mois de juillet 2032, tous les virages dangereux qui se succèdent sans répit. Pourtant, le jeu en vaut-il encore la chandelle ?
Texte & photographies : Dominique Hasselmann
Les autres Vases communicants se trouvent ici : merci à Brigitte Célérier pour tout ce qu’elle fait pour favoriser ces échanges.
Touchantes Projections avant/arrière ; mais en 2032 saura-t-on encore ce que sont les chandelles, à l’exception, peut-être, de celles qui pendent au nez ?
Un classement au PMU avalisant généralement l’arrêt de mort, il était logique de voir le quartier désormais bouclé par des péages, avec coupe-files pour les adoptants d’êtres virtuels, en dépit de la longue lutte (du pipeau ?) de la désormais -toujours- grabataire Christine Boutin.
Ces garnements ont-ils un jour cédé à la tentation de chiper un jouet ou un livre, comme dans le roman de Michael Ende, L’histoire sans fin ? Ont-ils glissé dans leur poche un petit Superman ? Un Spider-man ? Non, ils ont rêvé grâce aux panoplies et aux jeux de construction. Jean-Christophe et son ami sont devenus médecin,architecte et pas super-héros. C’est bien comme cela.
@ Lignes bleues : oui, car l’éclairage se fera uniquement à la bougie, comme j’ai pu le constater.
@ Dominique Autrou : Christine Boutin avait été nommée ministre de la race chevaline, avec comme secrétaire d’Etat, chargé des haras, Eric Woerth.
@ Désormière : Ende, L’histoire sans fin (évidemment)… Oui, ils sont devenus raisonnables.
Recevoir deux photographies le jour de la Fête nationale étazunienne, il y a là quelque chose qui fâcherait, je pense, la CIA : ces cagoules, là, vous ne croyez pas qu’elles cachent quelques voyous, par hasard ?
@ PdB : oui, il a été décidé, en 2032, de contrôler tous ces flux de photos, vidéos, etc. par un filtre spécial piloté par un lointain descendant caché d’Edgar Hoover (qui n’était pas celui que l’on croyait).
De même, en cette année-là, les vendeurs de vêtements n’avaient plus le droit de distribuer le moindre blouson ou manteau à capuche. La sécurité était au prix de la transparence : tout le monde se baladait entièrement nu (en hiver, les rues étaient chauffées, en été, « brumisées » (comme en 2013 la place de la République à Paris).
SF : sans faute.
@ François Durand : et sans fard (de jour).
Ce qui est sûr, c’est que la prof d’allemand, congédiée depuis longtemps, comme celle d’italien, de portugais et de grec, ne saura pas être absente.
@ M : Les profs ont laissé la place à l’enseignement à distance électronique : les contacts réels avaient été déclarés improductifs. L’apprentissage des langues étrangères autres que l’anglais et le chinois a été banni. La prof d’allemand – une certaine Angela Merkel – s’est exilée à Paros (Grèce), sous le nom moins connoté de Greta von Hohenstaufen.
un émouvant voyage dans le temps avec des photos qui elles-mêmes paraissent d’un autre temps…
@ gballand : normal, elles datent déjà il y a vingt ans…