Dino
C’est peut-être une faille, ou quelque chose qui ne marcherait plus bien, mais prendre des photos des écrans de cinéma durant les séances a quelque chose de déplacé. C’est peut-être simplement une communication qui ne se contrôle pas, les autres spectateurs qui bougent, sans le savoir vraiment mais gênés peut-être, par cette petite lumière (il y avait un type, pendant la séance de « la Folie Almayer » -film magnifique, à voir d’urgence, Chantal Akerman, 2012- qui regarda deux ou trois fois son téléphone portable en se cachant de son voisin, son autre voisin c’était moi), ou alors ce type un peu niais dans la salle du cinéma 1 du centre Pompidou lors de cette séance, quel film déjà ? je ne sais plus, Trafic les 20 ans, oui, « Café Lumière » probablement (Hou Hsiao Hsien, 2003) où je n’ai pas pris de photo, par cette manifestation de mauvaise humeur… Je ne sais pas, mais je suis allé à la cinémathèque il y a quelques jours, voir « Au nom du peuple italien », un film de Dino Risi, qui date de quarante ans…
Rien n’a changé : les industriels sont de cyniques ordures, les juges de vagues communistes encore sous le joug de Brejnev qui luttant pour les classes maquillent à peine les conclusions auxquelles ils parviennent… Ici, l’industriel est interprété par Vittorio Gassman et le juge par Ugo Togniazzi et pas un ne pourrait racheter l’autre…
Le père de l’industriel ne veut pas fournir à son fils un alibi pour le soir du supposé crime ?
Son fils l’enverra à l’asile…
Brutalité, hypocrisie, l’industriel n’a que peu de morale, mais est-ce suffisant pour l’accuser du meurtre d’une jeune « call girl » qu’il a lui-même formée à ce travail ? (n’est-ce pas normal, pour une jeune et jolie fille, de travailler comme elle le peut, avec son corps, quel mal à ça ?).
Le juge a maille à partir avec celui avec lequel sa femme, il y a longtemps, est parti : mais qu’il se débrouille…
Lui en vouloir, lui ? Non, mais qu’il se débrouille, le juge mange…
Des méthodes répréhensibles mais tellement courantes, pour obtenir certains contrats : le juge instruit à charge, tandis que le Palais de Justice s’effondre, que l’Italie, elle, suit de près les évolutions de son équipe de football… Les « tifosi » comme on les appellent, à moins qu’ils ne soient que « supporters » avant de devenir des « hooligans », sont tout à la joie de la victoire de leurs joueurs, le juge quant à lui vient de comprendre, par le cahier d’un cours que tenait la jeune « protégée » de l’industriel, qu’elle s’est donné la mort, chagrin d’amour, d’amour propre ou déchéance et écoeurement devant ce qu’elle se sait être devenue ? Peut-être… Que va-t-il faire de cette preuve, de cette pièce à conviction dont il est le dépositaire ?
La foule est vraiment trop heureuse, l’Italie a gagné…
On brûle quelques automobiles immatriculées en Angleterre, on assène des vérités ignobles, on chante, on danse (Gassman en femme, ici, en fasciste adorateur du Duce là, est irrésistible), au nom du peuple italien, oui, le juge jettera au feu le cahier qui disculpait l’industriel.
Fin.
Oui, que dire alors, le juge est plus encore corrompu par ses idées (fausses, mais vraies) l’industriel est innocent mais tellement coupable aussi, rien n’est donc si simple… Dino Risi (1916-2008) dont on n’oubliera jamais le « Parfum de femmes », avec Vittorio Gassman (1974), peint ici une Italie que Berlusconi a remise à la mode au cours des dernières années : au nom du peuple italien, les pires exactions peuvent être commises, le peuple quant à lui, ayant son pain et ses jeux, court, chante et rit…
Images terriblement modernes. J’y pensais à ces images, je prenais mon téléphone, cette photo-ci, celle-là, je ne sais pas, oui, l’Italie comme je l’aime, les images manquées et floues, travaillées, remises ici, ce film si grinçant drôle parfois, sauvage pourtant car sachant se servir des codes et des failles de la loi, , je reporte ici ces sentiments, je ne pense pas qu’ils mentent, mais au fond, pourquoi faire ? Une mémoire ? Un signe ? Une reconnaissance du talent de ces acteurs et de ce réalisateur, même si tous aujourd’hui ont disparu…
Le cinéma italien a connu sa grande époque, et puis un creux, mais il est revenu sur la vague avec notamment le grand Moretti, sa Vespa et son engagement sans faille (justement).
Le cinéma italien a su, dès Rossellini, montrer que l’art et la politique n’étaient pas séparables ou en tout cas ne pouvaient s’ignorer.
Le cinéma français, après l’exemple de Godard, continue à émerger de sa torpeur bourgeoise. Et ce ne sont pas les sujets qui manquent : ils ont eu leur Berlusconi, on a encore pour quelques semaines (J-80) son pendant français, une petite vedette de première bourre !
en effet, le cinéma italien a quelque chose de magnifique (Moretti, président à Cannes cette année il semble…)