Carnet de voyage(s) #13
Un matin, tôt. Demander des places côte à côte. Six heures et demi, gare du Nord, passer sous un portique, ôter de ses poches tout objet métallique, les avions, le onze septembre deux mille un (celui de mille neuf cent soixante treize aussi), se souvenir que devant cette gare, il n’y a pas une semaine, un type renversé par un taxi blanc et break, son sang sur le pavé, se souvenir de la guerre et pourquoi ? Londres, embarquement immédiat…
Jamais je n’y avais été (et merci du voyage), l’occasion créant le larron, un train dans les blancs, les bleus et les jaunes, à la vitesse de l’éclair
à Paris, il faisait nuit, à Lille (à l’aveugle) il fait presque jour, le temps passe si vite, les trois cents kilomètres déjà perdus derrière nous
je ne sais plus, je crois qu’il y avait des chefs de trains, Laurent et je ne sais plus qui, peut-être Bernard (les consignes des « directeurs des ressources humaines » tellement influencés par celles des « directeurs de communication » ceux-là frais émoulus des écoles de commerce à quinze ou vingt mille euros l’année, des enseignements par des gens qui prennent ce type de trains, donc, probablement
qui comprennent ce qu’on leur dit en personnifiant ainsi quelqu’ectoplasme qu’on ne verra jamais, qui n’existera pas et qu’on aura oublié immédiatement après son annonce… je ne sais pas, mais ce monde…), c’est le tunnel, Calais puis Douvres probablement, les gens dorment un peu (on en a un peu le temps… on est pressés, on est si pressés que ça ? pourquoi si vite ? on demandera à Laurent ou à Bernard, peut-être…), certains lisent aussi
et bientôt Londres, Saint Pancras internationale, les cinq anneaux olympiques, la capitale du Commonwealth (la richesse en commun) et la Reine d’Angleterre, le tournoi des cinq nations (cinq), des stéréotypes, les Trois Lanciers du Bengale, Londres, huit heures du matin, faire retourner son aiguille, Londres fish and chips, jamais je n’avais vu cette ville, j’y voulais voir le fleuve, et Westminster, et Pimlico, je ne sais pas ces mots me viennent sans doute des lectures de Sir Arthur Conan Doyle, Covent Garden et Abbey Road, de James Bond, de ces séries aussi « Destination Danger » je me souviens, mais le temps passe, on a pris le métro
qu’est-ce qui ressemble plus au métro que le métro
et ses voyageurs à d’autres voyageurs ?
Rien.
Arrivée vers Cromwell Road, nous étions à l’heure. Puis, il a été temps d’aller flâner pour moi (travailler pour d’autres…). J’ai pris cette rue au hasard, puis cette autre, passant devant ce grand magasin,
illuminés, dix heures heures du matin, j’ai longé ce parc, Hyde, me suis vu/laissé aborder par un Hongrois (selon lui…), deux « policiers » sont venus me demander mes papiers que je ne leur ai pas montrés, ils s’en sont allés, je ne sais quel coup ils avaient monté mais il a échoué je suppose, j’avais les jambes de flanelle en me retournant et les voyant disparaître en courant, aurais-je vu un de ces bobbys que je l’aurais accosté mais personne, je suis monté dans un bus qui allait à Waterloo (défaite ici, victoire là, le monde ainsi se (dé)fait), une gare comme toutes les gares, des gens qui courent d’autres qui attendent, en passant sur le fleuve, le pont, Waterloo à nouveau, puis la grande roue (au loin Big Ben, je passerais devant ses ors prétentieux tout à l’heure)
quelques graffitis, tu vois
marcheur ici, marcheur là, j’ai remonté cette rue-ci (Victoria, je crois bien), suis entré dans ce café où on m’a vendu (vendeurs et vendeuses pakistanais, partout) une tasse de café, servi de deux cuillères de sucre gentiment mixées, mangé une sorte de pâtisseries à l’intérieur crémeux non identifié mais sucré, j’en avais besoin, obliqué vers ce quartier chic Belgrave, des ambassades, des Ferrari garées dans la rue, bleues, des Bentley, peu de Rolls Royce mais tout de même, une ici, quelques Maserati, des Aston Martin, et pour chacun de ces objets, quinze ou vingt années de salaires du type qui vient de me servir un café, quelque chose de l’ostentation, quelque chose de l’ostracisme, des rues
est-on en mille neuf cent cinquante trois (en mars Staline, ce petit père des peuples fumier comme d’autres mourrait, Elisabeth serait depuis un an la deuxième et moi, je rappliquerais)
ou en deux mille onze
Londres, le thé à cinq heures, le soleil qui brille,
Londres et ses « bow windows » (fenêtres en arc)
cette ville d’agents secrets et de royale personne, d’esclaves qui vous servent et savent vous servir, se courbent et vous souhaitent « have a good day sir », asservissement consenti, la couronne et ses joyaux,
ses autobus rouges à étages comme ses boîtes aux lettres (rouges, pas à étage) et ses cabines téléphoniques, Londres et ses livres sterling (pour cent euros, vous en aurez quatre vingt quatre), Londres, devant la Galerie Nationale (son Louvre) un homme qui harangue et mangera sa baudruche jaune
il rit, on entre, il est tard, il fait nuit, bientôt, musées gratuits, collections offertes et admirées, le monde comme il semblerait normal alors, sur les conseils de Daniel Arrasse, nous avons cherché (et trouvé) cette annonciation de Brueghel le jeune ou l’ancien, ou son fils, enfin la culture, comme elle passe aussi par ici, le monde j’ai aimé qu’ils soient là, ces gens, dans les halls on demande de donner, ici 4 là 5 livres, ici un couple de guépards, magnifiques, qui se regardent, jumeaux
Bacchus, je crois, puis celui-ci, le passé le loup, le présent le lion, l’avenir un chien
avant qu’on ne vienne m’interdire de prendre des photos (on ne comprend pas, mais on s’exécute…).
Plus tard, le froid et la nuit, on marche, on avance, les rues de Londres, les boutiques de souvenirs, les livres, le poids des années, le Pakistan de Yussuf, cette descente en voiture, de Londres à Karachi en passant par Damas et Téhéran, la fin des années cinquante, Londres où il maria la Claudine qui aujourd’hui…
Enfin le British Muséum
trop magnifique conception moderne, actuelle et sensible, le large et le toit, ce lion, le monde assis, marchant, le temps, le lieu
ressortir, regarder ce monde qui bouge, était-ce Trafalgar Square (quel trafalgar…?), ou ai-je changé de point de vue, bouger et voir, admirer peut-être ressentir, le froid coupant du vent, une petite pluie fine, peut-être, j’ai acheté des parapluies à l’effigie du drapeau anglais aux filles (l’Union Jack, Ecosse Angleterre et Irlande), ce matin, ce soir il faudrait se réchauffer, peut-être un verre de vin (la bière coule à flot mais non), la chaleur du bois, des appliques, les cris et les rires
est-ce de la joie ou de la comédie, le temps dehors est au frais, c’est décembre on illumine les rues, on enjolive la fin de l’automne, quelques semaines augmentera le jour, je me souviens qu’ici on ramenait Tarzan, je me souviens que vers White Chappell officiait Jack the ripper, que le docteur Jekyll se transformait en mister Hyde (comme le parc, même s’il s’agissait de Spencer Tracy) aussi, je me souviens de toute cette imagerie accumulée, ah messieurs les Anglais, combien nous vous avons aimés, tirez les premiers, cette île, les conquérants probablement
écouter Eric Clapton, regarder les tentures, les gens qui parlent, celui-ci, les yeux dans la bière « chez la grosse Adrienne de Montalent, avec Maître Jojo et avec Maître Pierre, entre notaires, on passe le temps… », on pense, le poids des années, la conquête et les comptoirs de l’Inde, Graham Greene et Somerset Maugham, on n’en finirait pas de dérouler ce que l’Angleterre pèse pour nous, on n’en finirait pas de reconnaître ce qu’elle nous a apporté.
Cependant, et malgré tout, la batterie du téléphone s’est vidée, on a tenté de brancher l’affaire mais les prises de courant, au Royaume de Sa Très Gracieuse Majesté, sont différentes, on ne s’en est pas aperçu, un hôtel plus ou moins pourri (Cromwell Crown une horreur) et c’est ainsi que du lendemain, je n’ai plus de clichés, sinon celui-ci, le métro de Paris, minuit
qui ressemble comme un frère à celui d’ici ou de là-bas, couleurs passées et cassantes, bruits d’essieux et sonnerie stridente, attention retenue, escalators et quais goudronnés, ce que l’homme fait au monde et ce que celui-ci lui rend, on en est là, de retour, deux jours si vite passés, une nuit, fish and chips et petits pois, thés et vin rouge, un restaurant italien rouge et vert et blanc et chaleureux, on parle italien, on rit italien, à Londres ? on se souvient des rues de Gênes, on espère celles d’Istanbul, de Trieste ou de Porto, minuit, nous sommes déjà dimanche, le métro démarre, les sacs sont sur nos genoux, on sourit de fatigue, on se tient la main, Paris tout comme, tout à l’heure, Londres, Paris nous appartient…
Fenêtres à s’approprier comme un décor…
D’un simple aller et retour (avec juste une nuit comme étape : tour de Londres) tu as su faire une épopée…
J’ai bien aimé la photo du pub, vers la fin et celle des tableaux « animaliers » : guépards (Visconti était donc anglais) et lions peut-être cousins de ceux de l’arche de Delanoë à Paris ?
[…] parle, on rit, on s’échange des nouvelles, il est allé à Londres le week-end d’avant, cela fait longtemps que je n’y suis retourné et je n’ai jamais […]
J’ai essayé de voir si j’étais sur une de vos photos: j’étais à Londres cette même semaine que vous. La prochaine fois montez à l’étage d’un bus et vous ferez d’autres magnifiques clichés. J’aime bien votre Londres mythique.
[…] train qu’on y va, à présent et je n’y avais jamais mis les pieds avant il y a un an (c’est là) pour quelques heures de plus, on ne fait plus attention, le portique et les clés, la douane, les […]