Carnet de voyage(s) #9
Rubrique(s) : Carnets de Pierre Cohen-Hadria / Carnets de voyage(s) / Ville (ma) vue du sol
10 octobre, 2011 2Sait-on jamais pourquoi on fait une photo ? Sans doute pour fixer garder, ce souvenir de ce moment-là, revenant de la gare de Brignolles -est-ce que c’était exactement ça ?- savoir deux mois plus tard que oui, on était dans ce café où cette dame, nonne (nona en italien se traduit par grand-mère)
achetait quelque gâteau tandis qu’on buvait un café, un soda peut-être, et que la serveuse nettoyait ses éviers, il était cinq heures et demi du soir, dos face profil, on se désaltérait au bar, comment savoir pourquoi cette photo, dans le bus qui nous conduisait à Boccadasse, une chaleur d’été, un soleil pesant mais le petit vent du large
pour ce vieil homme probablement, sa casquette au slogan écoeurant (mais sur sa tête à lui, comment expliquer cette parure ?), alors on prend la photo (dans l’autobus, j’aime prendre des photos d’ailleurs comme dans le train, les choses bougent, les êtres rêvent, le temps est comme l’espace, il passe)
pour celui-ci qui s’en va pour ne pas être pris, face dos profil, ou celle-là qui entre et cherche des yeux sa station
on est là, assis, on ne les connaît pas, on les a déjà oubliés, l’espace passe, celui-ci et sa canne, encore au café, c’est à Rome dans les mauves, c’est le matin, tu te souviens, le café ? je ne sais plus
ah oui, c’était le matin du dernier jour, juste avant d’aller visiter la Farnesina, Trastevere sous cette humidité de dimanche, était-ce un dimanche ? je ne me souviens plus, je sais qu’à Lisbonne il y a le Tage, qui va jusqu’à l’océan, et que de là-bas, par temps clair, on peut voir, dit-on, le Brésil ou tout au moins la courbure qui y mène, aucunement perdu, on s’installe, la joggeuse passe
cette différence d’avec le jardin du Luxembourg, l’air du large, au loin les navires, celui que conduisait cet homme
clope au bec, avançant sous le soleil, tandis qu’en ville, les Italiens, les vrais, les tatoués, dans les bleus se déplacent en scooter
alors on téléphone ? on prend la photo, on attend l’autobus, et le monde passe, il est temps, viens, on s’en va, viens
elle dort, oui, eh bien on l’oublie, on passe mais on prend la photo, pourquoi en faire, la poser ici, regarder l’effet que produira le rapprochement, voir le talus près des voies qui s’effrite, voir les couleurs, les noirs et les blancs, voir où va celui-ci
c’est à Lisbonne, il y a deux ou trois ans, sous le soleil de midi, on regarde la télé, la course à pied je crois
on mange un petit beignet fait de crevettes, en attendant que le poulet cuise, plein été on en a besoin, on attend que le jour s’en aille pour sortir, se retrouver sur l’Alfama, le port, au loin la rive gauche, les bateaux, on ne voit pas le pont Vasco de Gama
Lisbonne un verre de vin blanc peut-être alors, une femme qui nettoie, pourquoi elle, on avait à la main le téléphone, on avait le temps occupée qu’elle était, elle ne se rend compte de rien, triste ou concentrée, elle faisait l’addition, on vole probablement un peu d’elle, sans qu’elle le sache ou s’en aperçoive, elle ne le saura jamais, elle continuera son travail et nous, nous serons partis,
et enfin, probablement avec une sorte de tendresse et de tristesse, revenir
Paris ciel d’octobre
délice de voyager avec vous dans des villes où j’ai aimé m’incruster un peu (une dizaine de jours)
J’aime surtout la femme qui court sur fond de mer et la mer (ensuite) avec des bateaux.
Le type avec sa casquette dérisoire est bien vu mais attendrissant, le jeune en scooter est plus quelconque, mais comment ne pas prendre en photo une Vespa en Italie, j’ai l’impression que tout cela est différent de l’Arc de Triomphe : pas seulement une question de lumière !