Les animaux dénaturés
Je sors d‘une lecture et discussion avec Jean Comaroff, anthropologue d’origine Sud Africaine, enseignante à l’Université de Chicago, venue présentée l’ouvrage co-écrit avec John Comaroff, son mari, ZOMBIES & FRONTIÈRES À L’ÈRE NÉO-LIBÉRALE, brillant rassemblement de 3 articles majeurs et saisissants, introduits par Jérôme David. Dans cet ouvrage, J & J Comaroff observent et analysent les effets de l’ouverture des frontières et de la libéralisation de l’économie sur un territoire donné, en l’occurrence, l’Afrique du Sud, à travers par exemple la figure du Zombie, une créature vidée de son substrat humain par l’intervention de la magie, transformée en main d’œuvre « machine » pour travailler dans les champs la nuit. Les effets du néo-capitalisme et la perte de compréhension des mécanismes à l’œuvre au sein d’une économie de plus en plus occulte réintroduisent la magie et ses moyens au bénéfice du marché libre et de ses économies.
Copyright, Pieter Hugo, Nollywood
Au fil de cette lecture dense, complexe, Zombie se superpose aux Animaux dénaturés, roman léger & de Science -fiction de Vercors paru en 1952 chez Albin Michel puis en 1954 dans la collection Romans du Club français du livre.(Maquette du somptueux Jacques Daniel).
Les animaux dénaturés, les Tropis, sont une espèce transitionnelle entre le singe et l’homme, fameux chaînon manquant découvert par un groupe d’anthropologues au cour d’une expédition en Nouvelle-Guinée. « Si nous mettons la main dessus, nous aurons peut-être découvert ce qu’on appelle le Missing link,(…) le chaînon qui manque dans la chaîne de l’évolution, le dernier chaînon entre l’homme et le singe ». Tout au long du récit, les scientifiques, juristes, hommes de foi tenteront de définir ce qui constitue l’homme, y compris sur un plan génétique, le caractérise, en tant qu’espèce, lorsque l’économie semble d’emblée convoiter les corps de cette nouvelle humanité. Main d’oeuvre exemplaire, machines et machine, aliens et aliénés.
» Il faut, dit Vancryusen, les engager jusqu’au cou. Si ensuite, dans un procès, le tribunal doit choisir entre le droit moral des tropis et l’écroulement du crédit des banques australiennes, le choix est d’avance, non ? (…) Cela dépend de vous, au gouvernement, il faut que vous subventionnez la construction immédiate des filatures, et leur équipement moderne. Peu importe le montant de la subvention : cela doit simplement permettre aux banques d’investir les millions de livres nécessaires… (…) Quand les tropis y seront, il y resteront. »
Déplacement et Frontières. Entre l’homme et l’animal, les besoins du marché ou les limites de la loi ? » Il a fallu une loi pour définir la personne humaine. Il en a fallu une autre pour inclure les Tropis dans cette définition. Cela montre bien qu’il ne dépendait pas des tropis d’être ou de ne pas être des membres de la communauté humaine, mais bien de nous de les y admettre... »
Copyright, Pieter Hugo, série Nollywood
Le zombie incarne la figure de la production de la richesse sans travail, d’un fondement surnaturel du capitalisme. De la désocialisation et de l’aliénation. Notre époque est marquée par la désindividualisation et la discipline des corps post-humains. Par la question des frontières. De ce qui qualifie l’ »homme ». Du dedans et dehors.
- Lire également les Zombies et le sud comme avenir urbain, sur Transit-city