Pendant le weekend

Changement et Kreator

LetypeAuChien1

En quittant le commissariat, je me suis promis de changer. Pas forcément en mieux. Ni en plus intéressant ni en plus sympathique. Juste changer. Je ne veux plus être ce type hargneux, aigri, méprisant. Je ne veux plus être non plus celui que j’étais avant. Avant d’entrer sur la Francilienne. Il faut que j’oublie. Certains essayent bien d’oublier Paris, je peux bien m’abandonner. Me quitter. Je vais m’appliquer à effacer chaque routine, chaque habitude, même la plus insignifiante, celle qui persiste, celle qu’on ne voit plus, et qui me semble subitement insupportable lorsqu’elle ressurgit. C’est peut-être une issue finalement. Effacer. Me vider. Je finirai peut-être par me glisser plus facilement dans une faille, un interstice.

Je pars. J’ai récupéré ma voiture. Je peux dormir dedans. Elle est spacieuse. J’ai laissé le vieux avec ses crânes de pierre. « C’est la préhistoire ici. L’origine, la base, l’essentiel, le creuset de tout » m’a-t-il dit en guise d’au revoir. Il ne me reste plus grand chose. Une voiture, un ordinateur et quelques stylos. Je n’ai presque plus de fric.

En sortant de chez le vieux, j’ai croisé un jeune type dans la rue. « Ah vous partez? » m’a demandé le gars. Il pleuvait. Il portait un t-shirt noir délavé portant le nom d’un groupe de métal « Kreator » dont le logo à lui seul était une véritable insulte au graphisme. Il promenait son chien. L’animal, sans aucun attrait, petit, maigrichon, aux proportions incohérentes, grelotait sous une toison clairsemée dégoulinante. « Il s’appelle Lemy » me dit-il. Le tableau était dramatique. J’avais déjà croisé ce type auparavant. Les jours de pluie comme les jours de beau temps, il déambulait sa grande carcasse à heures précises, casque de baladeur vissé sur la tête, chantant haut et fort une bouillie anglo-saxonne « For those about to rock, we saluuuuute you ». Son chien, lui, se faisait balader. Régulièrement secoué par les gestes brusques de son maître imitant successivement ceux d’un batteur ou d’un guitariste, il peinait à faire ses besoins. Les oreilles au vent, la langue tombante, les yeux vides et globuleux, il subissait le rythme effréné de sa promenade en dodelinant nerveusement, sans le moindre espoir que son maître ne porte une petite attention à autre chose que le prochain couplet de sa chanson. Le pauvre cabot risquait l’étranglement à chaque geste. « Vous cherchez à partir? » insista subitement le type. « Comment ça? Je ne cherche pas à partir, je lui réponds. Je pars. Je ne vais pas rester dans cette maison indéfiniment ». Je lui montrais la maison du vieux d’un geste de tête. Il eut un sourire en coin. « Vous m’avez bien compris » répliqua-t-il. Je suis resté les bras ballants. Il est parti : « welcome to the jungle, we’ve got fun ‘n’ games, we got everything you want  ».

Adrien Villeneuve

Pour un futur flambant neuf 

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